people/o/OckhamGuillaume/7emeQuodlibet.html
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<title>7ème Quodlibet</title>
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<h2 style="margin-bottom: 0">Question n° 1 - Si la création ou la conservation <span class="note">[Créa<i>tion</i> et <i
>conservation</i> sont 2 manières<span> </span>diffèrentes de noter une même chose : c'est le même acte pour Dieu de créer ou de conserver: <q>Creatio et conservatio significant idem et differunt solum penes connotata</q> (Ockham, <i
>Questiones</i>...,II, q.10), création et conservation sont la même chose et ne diffèrent que par rapport à ce qu'elles connotent] </span>diffère
réellement des choses absolues <span class="note">[Même si, comme le note L. Baudry (<i
>Lexique philosophique</i>..., article <span style="font-family: Symbol;">�</span>absolutum<span
style="font-family: Symbol;">�</span>), il est impropre de parler d'une chose absolue,<i> res absoluta</i>, Ockham utilise ici systématiquement l'expression, pour parler des substances, ou même de certaines de leurs qualités (Cf. Q. n° 2), dans le sens de ce qui existe réellement, donc de manière séparable]</span>
</h2>
<p>Qu'il en est ainsi : parce que la création est une relation <span class="note">[Pour <span
class="people">Aristote</span> , "le Philosophe", et pour les penseurs dits scolastiques, la <i
>relation</i> est l'une des 10 catégories, ou prédicaments. <q>On appelle relation ces choses dont tout l'être consiste en ce qu'elles sont dites dépendre d'autres choses ou se rapporter de quelque autre façon à autre chose</q> (<span
class="people">Aristote</span>, C<i>atégories</i>, ch.7, traduction J. Tricot)]</span>, mais une chose absolue n'est
pas une relation ; donc etc.</p>
<p>A l'opposé : si elle diffère réellement, cette chose qu'est la création est créée ; donc ou par une création qui est
une autre chose, ou non ; si oui, alors il y aura régression à l'infini ; si non, pour la même raison, il faut
s'arrêter à la 1<sup>ère</sup>.</p>
<h3>Sur la question</h3>
<p>Je réponds : cette question comporte une difficulté générale au sujet de la création-action et de la
création-passion, de la conservation-action et de la conservation-passion, c'est pourquoi je dis d'une manière
générale que ni la création-action <span
class="note">[L'<i>action</i> et la <i>passion</i> sont 2 des 10 catégories <span class="people"
title="Aristote">aristot
éliciennes</span>. La<i> passion</i> est opposée à l'action et consiste donc à subir l'action, à pâtir. Cf. Aristote, <i
>Catégories</i>, c. 9, et pour un développement plus complet, Aristote, <i>De la</i> <i>génération et de la corruption</i>, livre 1, c. 7 à 9. La création-action est la création côté créateur, la création-passion est la création côté chose créée, cf. lignes 63-64]</span>,
ni la création-passion, ni la conservation-action, ni la conservation-passion ne désignent en dehors de l'esprit une
chose autre que les choses absolues.</p>
<p>Ce que je prouve par une unique raison, parce que quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses,
si 3 choses ou 2 suffisent pour la vérité de cette proposition, une 4ème est superflue ; mais ces 2 propositions sont
de cette sorte : <q>une pierre est créée</q>, <q>une pierre est conservée</q>, parce qu'elles sont vérifiées en raison
de certaines choses, et pour vérifier cette proposition : <q>une pierre est créée</q>, il suffit de Dieu, de la
pierre, et du 1er instant où elle a été créée, parce que ces choses étant posées, il est impossible que cette
proposition ne soit pas vraie : <q>une pierre est créée</q> ; donc la création n'est rien d'autre que ces choses. De
la même manière, pour vérifier cette proposition : <q>une pierre est conservée</q>, il suffit de Dieu, de la pierre,
et d'un quelconque instant postérieur à l'instant de la création ; donc la conservation, action ou passion, n'est rien
d'autre que ces choses.</p>
<h3>Doute n°1</h3>
<p>Mais il y a ici 2 doutes : le 1<sup>er</sup> est au sujet de la création, car on voit qu'elle est autre chose que les
choses absolues, puisque Dieu et la pierre restent, et que la création ne reste pas. Ce qui est manifeste après le
premier moment de la création. Donc etc.</p>
<p>En outre, si aujourd'hui du feu produit du feu, que demain Dieu annihile le feu produit, et que le 3ᵉ jour Dieu
restaure le feu annihilé par une création, ce feu est créé le 3<sup>ème</sup> jour, et pas auparavant par accident; et
cependant toutes les choses absolues qui ont existé le 3ᵉ jour, ont existé le 1<sup>er</sup> jour par accident ;
donc la création désigne quelque chose, outre les choses absolues.</p>
<h3>Doute n°2</h3>
<p>Le 2<sup>nd</sup> doute est relatif à la conservation, car Dieu existe, et la pierre également, quand la pierre n'est
pas conservée, si l'on distingue la création de la conservation. Ce qui est évident au 1<sup>er</sup> instant, quand
la pierre est créée. Donc la conservation est quelque chose en plus de Dieu et de la pierre.</p>
<h3>Sur le doute n°1</h3>
<p>Sur le 1er point, je dis que la création de la pierre, active ou passive, ne signifie pas quelque chose de positif
distinct de Dieu et de la pierre, mais emporte et signifie que la négation de la pierre précède immédiatement
l'existence de la pierre, c'est-à-dire emporte que la pierre existe maintenant et qu'elle n'existait pas immédiatement
avant. Et il en est ainsi à chaque fois que, sans aucun autre rapport, on dit que Dieu crée une pierre ou qu'une
pierre est créée par Dieu. Et cela seulement au 1er instant de la création de la pierre.</p>
<p>Sur le 2<sup>ème</sup> point, je dis que le feu est créé le 3ᵉ jour, et non le premier, parce qu'à un moment donné du
3ᵉ jour, il n'y avait absolument rien, puisque le feu était annihilé selon sa matière et sa forme, et
qu'immédiatement ensuite, il a existé. Et c'est pourquoi il a été créé, parce que le 3<sup>ème</sup> jour soudain, il
n'y avait rien d'abord, et qu'ensuite il a existé. Tandis qu'au 1er jour, il n'était pas créé, mais produit, parce que
ce 1<sup>er</sup> jour, il ne reçut pas tout son être par sa production, puisque nous avons présupposé qu'il a été
objet d'une production.</p>
<p>Et si vous dites : nous posons que seule la forme <span class="note">[Il y a pour <span
class="people">Aristote</span> 4 causes : la cause matérielle (la matière dont la statue est faite), la cause formelle (la forme de la statue, ce qu'elle représente), la cause efficiente (le sculpteur), la cause finale (le but du sculpteur : la beauté, la célébrité, ou l'argent). La <i
>forme</i> est donc le principe qui détermine la <i>matière</i>, c'est-à-dire ce qui vient s'adjoindre à la<i
> matière</i>, ce par quoi celle-ci a une essence déterminée. Exprimé de manière plus théorique: <i
><q>Forma est quidam actus natus recipi in illa materia</q></i> (Ockham, <i>Summulae</i>..., 1, c. 23), la forme est un certain acte destiné à être reçu dans cette matière. Rappelons que le feu est à l'époque considéré comme chose, au même titre que la pierre]</span>
du feu a été annihilée, et qu'ensuite, le 3ᵉ jour, elle a été restaurée par une création. Qu'alors il reste la même
matière le premier jour et le 3ᵉ, et que cependant il est créé le 3ᵉ jour, et non le 1er ;</p>
<p>Je réponds : la forme du feu est créée le 3<sup>ème</sup> jour, parce qu'alors elle est produite par Dieu seul, qui
seul agit à l'extérieur par la création. Mais le 1er jour, elle n'a pas été créée par Dieu seul, mais par le feu;
c'est pourquoi elle n'est pas créée.</p>
<p>D'où ce nom de "création", quand on l'utilise simplement au sujet de la pierre, de la même manière qu'on dit que la
pierre ou le feu a été créé, et non produit, signifie que le feu juste avant n'existait pas, ou que le feu juste avant
n'était rien, et que le feu a été produit par Dieu seul.</p>
<h3>Sur le doute n°2</h3>
<p>Sur le second doute, je dis que la conservation, active ou passive, ne désigne rien d'autre que Dieu et la pierre,
mais, de même que la création de la pierre emporte, outre Dieu et la pierre, que la pierre immédiatement avant n'ait
pas existé, la conservation de la pierre emporte, outre Dieu et la pierre, que la pierre existe maintenant et ait
existé auparavant. Et puisque cela n'est pas vrai au premier instant de la création de la pierre, alors pas pour cette
raison elle n'est pas conservée, mais créée.</p>
<p>Sur l'argument principal, je dis que, bien que "création" soit un nom relatif, il peut cependant signifier et
supposer pour des choses absolues. Et c'est pourquoi, en vertu du langage, on doit concéder ces propositions: "la
création-action est Dieu" et "la création-passion est la pierre".</p>
<h2>Question n° 2 - Si la qualité <span class="note">[La<i> qualité</i> et la <i>substance</i> sont 2 des 10 prédicaments, ou catégories aristotéliciennes. La <i
>substance</i> est ce qui est en soi, et sert de support aux<i> qualités</i>. "La substance, au sens le plus fondamental, premier et principal du terme, c'est ce qui n'est ni affirmé d'un sujet, ni dans un sujet: par exemple, l'homme individuel ou le cheval individuel" (Aristote,<i
> Catégories</i>, c. 5, trad. J. Tricot). La <i>qualité</i> est ce qui affecte la <i>substance</i>, et qui, en réponse à la question "quel ?", indique qu'elle est de telle ou<span
> </span>telle manière. <q>J'appelle qualité ce en vertu de quoi on est dit être tel</q> (<span
class="people">Aristote</span>, ibidem, c. 8)]</span> diffère réellement de la substance
</h2>
<p>Qu'il n'en est pas ainsi : parce que droit, courbe, convexe, concave, triangulaire, quadrangulaire, sont des qualités
de la 4ᵉ espèce <span class="note">[Ockham reprend la distinction faite par <span class="people">Aristote</span> (ibidem, c. 8) entre<span> 4</span> espèces de qualités. La 3ᵉ est une réalité distincte de la substance (l. 70-71), comme la blancheur (l.74). <q>Telles sont, par exemple, la douceur, l'amertume, l'âcreté, avec toutes les déterminations de même ordre, en y ajoutant la chaleur, la froidure, la blancheur et la noirceur</q> (<span
class="people">Aristote</span>, ibidem, c. 8). La 4ème désigne la substance même, mais en connotant l'ordonnancement de ses parties (l.85-86), comme la courbure ou la rectitude (l. 81), et d'une manière générale, la figure (l. 98). <q>Une 4ème<span
> </span>sorte de qualité comprend la figure, ou la forme</q> (<span class="people">Aristote</span>, ibidem, c. 8). Les deux autres sens sont respectivement : la qualité qui n'est pas une seule chose, mais complexe de plusieurs autres, comme la santé ; et la qualité qui désigne plutôt un effet produit sur nos sens, comme l'amertume (Cf. L. Baudry, lexique philosophique..., article qualitas). On comprend donc pourquoi l'interrogation porte uniquement ici sur les 3ᵉ et 4ème espèces]</span>
; et c'est pourquoi elles ne diffèrent pas de la substance, puisque Dieu ne peut pas faire un corps sans forme ; donc
etc.</p>
<p>A l'opposé : blancheur et noirceur sont des qualités; et ce ne sont pas des substances, ce qui est évident ; donc
etc.</p>
<h3>Sur la question. Conclusion n° 1</h3>
<p>Sur cette question je dis d'abord que les qualités de la 3ᵉ espèce diffèrent réellement de la substance. Ce que je
prouve, parce qu'il est impossible que quelque chose passe de contradictoire <span class="note">[Le contraire n'est pas le contradictoire. <em><q>Ainsi les propositions tout ce qui est bon est bon ou tout homme est bon ont pour contraire rien [de ce qui est bon n'est bon] ou nul [homme n'est bon], et pour contradictoire quelque bon [n'est pas bon] ou quelque homme [n'est pas bon]</q></em> (<span
class="people">Aristote</span>, <i>De l'interprétation</i>, ch. 14). <q>Certains [trames complexes] sont opposés de manière contradictoire: des propositions ont le même sujet et le même prédicat, mais l'une est affirmative et l'autre négative. Cependant, cela ne suffit pas : il faut que l'une soit universelle et l'autre particulière ou indéfinie, ou bien que chacune des 2 soit singulière</q>, traduction par J. Biard de la <i
>Somme de</i> <i>logique</i> d'Ockham (I, ch. 36) : <q>Quaedam [complexa] enim complexa opponuntur contradictorie, quando scilicet aliquae propositiones habent idem subjectum et idem praedicatum sed una est affirmativa et alia negativa. Sed hoc non sufficit, sed oportet quod una sit universalis et alia particularis vel indefinita, vel quod utraque sit singularis.</q> L'aspect le plus remarquable des propositions contradictoires est que la vérité de l'une implique la fausseté de l'autre, que la fausseté de l'une implique la vérité de l'autre, ceci évidemment réciproquement. Elles constituent donc une alternative]</span>
en contradictoire sans acquisition ou perte de quoique ce soit, quand ce n'est pas rendu possible par l'écoulement
temporel ou le mouvement local; mais un homme est d'abord non-blanc et ensuite blanc, et ce changement n'est pas rendu
possible par le mouvement local <span class="note">[Au sens aristotélicien, le fait qu'un mobile quitte un lieu pour en occuper un autre : "<i
>Motus localis est</i> <i>coexistentia successiva, sine quiete media, alicujus continue existentis in diversis locis"</i> (Ockham, Quodlibeta..., I, q. 5), <i
>le<span> </span>mouvement local</i> est la coexistence successive, sans repos intermédiaire, de quelque chose existant de manière continue dans divers lieux. Ockham développe par ailleurs une théorie du mouvement]</span>
ni par l'écoulement temporel ; donc la blancheur se distingue réellement de l'homme.</p>
<h3>Conclusion n° 2</h3>
<p>Je dis 2ᵉment que les qualités de la 4ᵉ espèce, comme sont la forme, la courbure, la droiture, la densité, la
rareté <span class="note">[Ce sont exactement les exemples donnés par <span class="people">Aristote</span> dans les <i
>Catégories</i>, c. 8]</span> et autres de cette sorte, ne sont pas des choses distinctes de la substance et des
autres qualités sensibles.</p>
<p>Ce que je prouve, parce que quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses, si une seule chose
suffit à sa vérité, il est superflu d'en poser 2. Mais des propositions comme "une substance est droite", "une
substance est courbe", et autres de même sorte, sont vérifiées en raison de certaines choses ; et la substance seule
disposée de telle ou telle manière suffit à leur vérité, puisque si les parties d'une substance sont disposées selon
une ligne droite et ne sont ni mues localement, ni augmentées, ni diminuées, il est contradictoire que cette substance
soit d'abord droite et ensuite courbe. Donc la droiture ou la courbure n'ajoute rien en plus de la substance et de ses
parties. Donc si Dieu, par sa puissance absolue, sépare d'une substance située selon une ligne droite tout accident
<span class="note">[L'<i>accident</i> est ce qui existe non par soi-même, mais en une autre chose, comme ici la blancheur et la courbure, et qui peut être modifié sans disparirion de la chose, ni changement de nature. <i
><q>Vocatur accidens aliquod</q></i> <q>praedicabile contigenter de alio</q> (<a
href=".">Ockham</a>, Quodlibeta...,VI, q. 12): On appelle accident quelque chose qui peut être prédiqué d'autre
chose de manière contingente]</span> tant absolu que relatif, et que les parties sont conservées au même endroit,
cette substance sera toujours droite comme auparavant. Donc etc.</p>
<p>Mais il y a ici un doute: comment sait-on que la qualité est autre chose que la substance, et comment sait-on que
non?</p>
<p>Je réponds que quand des prédicables <span class="note">[Les prédicables, ou universaux, sont les diffèrents modes selon lesquels un prédicat peut être rapporté à un sujet. Porphyre (234-env.310), dans <i
><span style="font-family: Symbol;">Isagoge</span></i>, en dégage 5, à savoir : le genre, l'espèce, la diffèrence spécifique, le propre et l'accident]</span>
peuvent être successivement vérifiés de la même chose -, et qu'ils ne peuvent pas être vérifiés de cette chose
simultanément -, à cause du seul mouvement local, alors il ne faut pas que ces prédicables signifient des choses
distinctes. Comme pour "courbe", "droit", et autres de cette sorte. En effet, quand quelque chose est droit, si
ensuite, alors que rien d'autre n'est arrivé, ses parties sont rapprochées par un mouvement local, de telle sorte
qu'elles soient moins distantes qu'auparavant, on dit qu'il est courbe; et c'est pourquoi la courbure et la droiture
n'emportent pas d'autres choses que les choses droites ou courbes. Il en est de même de la figure, puisque par le seul
mouvement local de certaines parties, quelque chose peut prendre des figures diverses. Il serait en effet étonnant
qu'à chaque fois que les parties d'une substance étaient mues localement, elles acquièrent ou perdent autant de fois
des choses distinctes de la substance.</p>
<p>Sur l'argument principal, la réponse est claire par ce qui précède.</p>
<h2 style="margin-bottom: 0">Question n° 3 - Si l'action <span class="note">[Cf. note 1 page 2]</span> ou la passion
diffère réellement des choses absolues
</h2>
<p>Qu'il en est ainsi : parce qu'on dit que la chose absolue est agent <span class="note">[L'<i
>agent</i> est "ce qui produit, crée, détruit ou meut quelque chose". (L. Baudry,<i> Lexique</i>..., article agens)]</span>
; mais l'action n'est et n'est pas dite agent; donc etc.</p>
<p>A l'opposé : il ne faut pas poser de pluralité sans nécessité; mais ici il n'y a pas nécessité; donc etc.</p>
<h3>Sur la question</h3>
<p>Sur cette question, je dis que ni l'action ni la passion ne diffèrent réellement des choses absolues.</p>
<p>Ce que je prouve d'abord, parce que si c'était une autre chose, je demande si elle existerait par elle-même ou en
tant qu'inhérente à une autre. Si elle existe de la première manière, alors c'est une substance, et on obtient
l'hypothèse. Si c'est selon la 2nde manière, alors l'action est ou à l'intérieur de l'agent ou du patient. Dans le
premier cas, tout agent ou tout ce qui provoquerait un mouvement recevrait alors une nouvelle chose à chaque fois
qu'il agirait ou qu'il provoquerait un mouvement. Et alors un corps céleste et une intelligence recevraient
continuellement de nouvelles choses en agissant, et alors Dieu en agissant recevrait une chose nouvelle en lui. Si
l'action était dans le patient, alors on n'appellerait pas cette chose formellement patient, mais agent. De la même
manière le patient recevrait alors toujours en lui au moins trois choses, à savoir l'action, la passion et une qualité
absolue, ce qu'on voit bien être absurde.</p>
<p>Si vous dites qu'il ne s'ensuit pas que Dieu reçoive des choses nouvelles, parce qu'il n'en va pas de même de Dieu,
et des autres choses, qui sont des créatures, je rétorque : si Dieu ne reçoit véritablement rien et agit réellement,
et que par conséquent, il y a ici une action sans une telle chose intermédiaire, on pose donc inutilement une telle
chose dans un autre agent, puisqu'on peut vraiment et réellement être agent sans une telle autre chose.</p>
<p>En outre, cette chose qui est posée comme action, est causée ou n'est pas causée. Si elle n'a pas de cause, il s'agit
donc de Dieu <span class="note">[La <i>cause 1ʳᵉ</i> est celle qui n'est précédée d'aucune autre cause, elle n'est pas elle-même causée, elle a donc en elle-même sa raison d'être, elle est donc Dieu (on dira, comme Spinoza : <i
>causa sui</i>, cause de soi, mais ici, et il y a peut-être une nuance importante, on dit <i>non causata</i>, non causée]</span>.
Si elle est causée, je demande par qui. Par rien d'autre que par l'agent; donc l'agent produit cette cause. Ceci étant
alors donné, je m'interroge sur la production de cette chose en tant que production originaire. Et il y aura
régression à l'infini, ou bien on s'arrêtera sur ce qu'une chose est produite sans aucune chose intermédiaire. Et pour
cette même raison, il faut s'arrêter au début.</p>
<p>En outre toute chose que Dieu produit par l'intermédiaire d'une cause 2nde <span class="note">[Les <i
>causes secondes</i> sont celles qui, tout en étant causes d'un effet, sont elles-mêmes effets d'une autre cause, formant donc une chaîne, et posant problème par la régression à l'infini qu'elles semblent impliquer]</span>,
il peut la produire de lui-même immédiatement; donc cette chose qu'on pose comme action, quand le feu agit sur le
bois, Dieu peut la produire immédiatement sans que le feu agisse. Par ce fait, je demande : ou le feu agit, ou non. Si
oui, le feu agit donc, et cependant seul Dieu agit. Si le feu n'agit pas, je rétorque : dans le feu, il y a une action
agissant formellement et objectivement, et par conséquent il est dénommé avec vérité par cette action. Donc le feu
agit vraiment. Et ainsi, le feu agit et n'agit pas, ce qui est impossible.</p>
<p>En outre, quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses, si 3 choses suffisent pour sa vérité, il
ne faut pas en poser une 4ème ; mais cette proposition, "le feu agit sur l'eau", est vérifiée en raison de certaines
choses, et pour sa vérification suffisent le feu, l'eau et la chaleur produite dans l'eau par la présence du feu, de
sorte que si le feu n'était pas présent à l'eau, la chaleur ne serait pas produite ici naturellement sans aucun
rapport intermédiaire, on dirait alors avec vérité que le feu est l'agent, l'eau le patient, et la chaleur l'effet
produit; donc aucune autre chose n'est requise pour la vérité de telles propositions.</p>
<h3>Objection n° 1</h3>
<p>Mais à l'opposé: il n'est pas possible de passer de contradictoire en contradictoire sans aucun changement. Mais
quand le feu expose le feu sur l'eau, au premier instant où le feu est produit, le feu agit vraiment sur la matière et
la matière subit vraiment en recevant la forme du feu; et après cet instant, ni la matière ne subit, ni le feu n'agit;
donc il y a ici un changement quelconque. Mais rien de nouveau n'est acquis, donc quelque chose d'antérieur est
détruit, et rien d'autre si ce n'est l'action ou la passion. Et ce n'est pas quelque chose d'absolu qui est détruit,
donc il s'agit d'un rapport. Donc l'action et la passion sont des rapports.</p>
<h3>Objection n° 2</h3>
<p>En outre, quand une proposition est vérifiée en raison de certaines choses, si quelques unes ne suffisent pas, il
faut en poser de plus nombreuses; or cette proposition, "le feu agit", est vérifiée en raison de certaines choses, et
les choses absolues ne suffisent pas à la vérifier parce que toutes les choses absolues ne peuvent être faites que par
Dieu seul, et alors cette proposition, "le feu agit", ne sera pas vraie; donc etc.</p>
<h3>Sur l'objection n° 1</h3>
<p>Sur la 1ʳᵉ de celles-ci, je dis qu'il faut parler autrement de l'agent qui ne conserve pas, et autrement de l'agent
qui conserve <span class="note">[Ockham distingue l'agent qui produit et conserve de celui qui produit mais ne conserve pas. Le 1er est celui dont la présence reste nécessaire pour que l'effet subsiste, le 2nd est celui dont l'effet subsiste, même s'il disparaît une fois l'effet produit. Par exemple ici (l. 159-162), l'eau chauffée par le feu continue à être chaude si le feu est éteint]</span>.
En effet si l'on parle d'un agent qui ne conserve pas, alors un tel passage est préservé par le seul écoulement
temporel. Parce qu'une action qui n'est pas conservation emporte entièrement cela, que de la présence de ce feu à
l'eau s'ensuit de la chaleur dans l'eau, qui n'y serait pas si le feu n'était pas présent à l'eau, et parce qu'après
le 1er instant où est posée la forme du feu, si l'agent était détruit, rien moins que la forme du feu n'existerait
dans la matière de l'eau, c'est pourquoi on dit alors, à cause de l'écoulement temporel, que le feu qui avait d'abord
été agent, n'est plus agent.</p>
<p>De la même manière, parce que la passion qui n'est pas conservation passive dit tout à fait cela, que la matière a
maintenant une certaine forme en la présence du feu, qu'immédiatement auparavant elle n'avait pas, après le premier
instant, de ce fait que le temps s'écoule, sans rien d'autre d'ajouté, il s'ensuit que cette proposition est fausse :
<q>ce patient subit par cet agent</q>, et que cette proposition est vraie : <q>ce patient ne subit pas par cet
agent</q>. De la même manière que le seul écoulement temporel suffit à vérifier d'abord cette proposition : <q><span
class="people">Socrate</span> est en<i> a</i></q> et ensuite celle-ci : <q><span class="people">Socrate</span>
n'est pas en <em>a</em></q> .</p>
<p>Mais de tels contradictoires ne peuvent pas être vérifiés d'un agent qui se conserve, si ce n'est par la destruction
de l'effet.</p>
<p>Et si vous demandez si l'action et la passion perdurent après le premier instant, je réponds que oui, en ce sens: que
ce qui est agent cesse d'être agent, et que ce qui est ou a été le patient cesse d'être patient. Et ce sens est vrai.
Et en ce sens, on peut concéder que la puissance <span class="note">["<i>Vocant potentiam illam quae potest elicere et recipere diversos actus et contrarios</i>" (Ockham, Quodlibeta...,III, 21): on appelle <i
>puissance</i> ce qui peut produire et recevoir des<span> </span>actes divers et opposés. L'être en puissance est virtuellement. On distingue une<i
> puissance</i> active, comme la chenille qui devient papillon, et une <i>puissance</i> passive, comme le bloc de pierre qui devient statue]</span>
de la matière <span class="note">[<span lang="EN-GB">Cf. note p. 5</span>]</span> est détruite ou que l'absence est
détruite par l'arrivée de la forme, non que quelque chose ici soit vraiment détruit, mais parce que la matière cesse
d'être en puissance ou cesse d'être absente, c'est-à-dire commence à prendre forme.</p>
<h3>Sur l'objection n° 2</h3>
<p>La seconde objection a été fréquemment traitée ci-dessus. C'est pourquoi maintenant je passe.</p>
<p>Sur l'argument principal, je dis que, pour parler logiquement, l'action est vraiment agent, parce qu'elle suppose
<span class="note">[La notion de<i> supposition</i>, peu utilisée directement dans ces extraits, est centrale dans la philosophie d'Ockham. D'une manière générale, la<i
> supposition</i> consiste à utiliser une chose comme substitut d'une autre: "<i
>Suppositio est</i> <i>pro aliis positio</i>". Dans la théorie du langage, un mot <i>suppose</i> pour ce qu'il signifie. A partir de là, sont dégagés plusieurs types de <i
>suppositions</i>. Ici, l'action<i> suppose</i> pour l'agent en tant qu'agissant, c'est-à-dire que l'action ne désigne réellement rien d'autre que l'agent agissant]</span>
vraiment et réellement pour l'agent.</p>
<h2 style="margin-bottom: 0">Question n° 4 - Si les prédicaments de l'action et de la passion sont composés de concepts
</h2>
<p>Que non : parce que l'un et l'autre prédicaments sont prédiqués <span class="note">[<i>Prédiquer</i>, c'est affirmer un <i
>prédicat</i> relativement à quelque chose. Le <i>prédicat</i> est ce qui est affirmé (ou nié) de cette chose]</span> au
sujet de choses ; donc ils sont composés de choses.</p>
<p>A l'opposé: ces prédicaments sont composés de signes signifiant naturellement des choses; or les concepts sont de
cette sorte; donc etc.</p>
<h3>Sur la question</h3>
<p>Sur cette question, je dis que, selon l'intention du Philosophe, tous les mots mentaux actifs, qui sont des concepts,
sont des prédicaments de l'action, et tous les mots mentaux passifs sont prédicaments de la passion, que ces mots
signifient des substances ou des qualités, parce qu'<span class="people">Aristote</span> dénomme toujours ces
prédicaments par de tels mots, comme on peut le voir dans "Les catégories" <span class="note">[Cf. <span
class="people">Aristote</span>,<i> Catégories</i>, c. 9 et 10]</span>. Et Damascène <span class="note">[Jean de Damas, ou Jean Damascène, auteur de la 1ʳᵉ somme théologique. Sa<i> <span
style="font-family: Symbol;">Phgh</span> <span style="font-family: Symbol;">thV</span> <span
style="font-family: Symbol;">gnwsewV</span>,</i> Source de la connaissance, comporte une <i
>dialectique</i>, à laquelle se réfère <a href=".">Ockham</a>. La référence est précisée par l'édition de St
Bonaventure: version R. Grosseteste, c.20 et 36]</span> dans sa "Logique" concorde avec lui.</p>
<p>D'où le prédicament de l'action n'est rien d'autre qu'un certain arrangement des termes d'action impliquant que
quelqu'un agit ou fait quelque chose, de la même manière qu'un mot est prédiqué avec vérité d'un autre mot en ajoutant
le pronom "qui", comme quand on dit "qui réchauffe agit", "qui refroidit agit".</p>
<p>Et si de tels mots étaient en usage, et que des participes et des noms leur correspondant supposaient <span
class="note">[Cf. note 3, page 11]</span> pour eux, alors, comme ils signifient en tout point la même chose, "agent"
et "action" supposeraient pour eux. Et alors, en vertu du langage, on doit concéder que l'action est une chose absolue
comme l'agent, et que de la même manière que l'agent est substance, l'action est substance. Cependant la substance est
action de manière contingente, comme elle est agent de manière contingente.</p>
<p>Et de la même manière, en vertu du langage, la passion est la substance qui pâtit, comme on voit Damascène le dire
dans sa "Logique" <span
class="note">[Damascène, ibidem, c. 36; référence précisée par l'édition de St Bonaventure]</span>. D'où il dit :
<q>Quant à faire et subir, pour une substance quelconque, c'est la même chose qu'être agissant ou patient</q>.</p>
<p>Sur l'argument principal, je dis qu'aucun des 2 prédicaments n'est prédiqué au sujet des choses, mais au sujet des
concepts des choses.</p>
<h2 style="margin-bottom: 0">Question n° 5 - Si le prédicament "quand" emporte une chose distincte <span class="note">["<i
>Omnis distinctio vel realis, vel formalis, vel rationis</i>", toute distinction est réelle, formelle, ou de raison Ockham,<i
> Quodlibeta</i>..., I, q. 3). La <i>distinction</i> formelle est d'ordre théologique, autour de la notion de trinité, et relève plutôt de la foi. La <i
>distinction</i> est de raison quand elle a pour objet des concepts ayant donc des définitions diffèrentes, elle est réelle quand elle concerne des choses dont l'une n'est réellement pas l'autre. Comme dans l'ensemble de ces questions, il s'agit donc d'établir que des<i
> distinctions</i> de raison n'emportent pas nécessairement des <i>distinctions</i> réelles]</span> des choses absolues
</h2>
<p>Qu'il en est ainsi: parce que soient 2 êtres individuels de même raison et en tous points semblables, excepté que
l'un a existé avant l'autre, il est vrai de dire que l'un est plus ancien que l'autre; donc l'un a quelque chose que
l'autre n'a pas, et rien d'autre que le rapport emporté par le "quand"; donc le "quand" emporte un tel
rapport.</p>
<p>A l'opposé: de l'avis de tous, il faut poser à n'importe quel rapport un terme quelconque et, comme il est évident,
on ne peut pas poser un quelconque terme à ce rapport du "quand", si ce n'est le temps; mais le temps de beaucoup de
choses qui sont visées par le "quand" est le passé; et par conséquent il ne met pas un terme à un tel rapport
réel.</p>
<p>Sur cette question, je dirai d'abord que "quand" n'est pas un tel petit rapport distinct des choses absolues; 2ᵉment
je dirai de quoi se compose le prédicament "quand".</p>
<h3>1er article</h3>
<p>Sur le premier point, je dis universellement que "quand" n'est pas quelque rapport distinct des choses absolues.</p>
<h3>Preuve n° 1</h3>
<p>Ce que je prouve de plusieurs façons. D'abord ainsi: parce que si "quand" était une telle chose inhérente à la chose
temporelle, comme on ne devrait pas plus poser une telle chose par rapport à un moment que par rapport à un autre, il
y aurait donc une telle chose par rapport au temps futur. Conséquence fausse, parce que si une quelconque chose
semblable est dans cet homme qui existera demain, sans quoi on ne peut dire qu'il existera demain, alors de la même
manière que quelque chose ne peut pas être blanc sans blancheur, il y aura une quelconque telle chose dans cet homme,
par rapport au temps de n'importe quel instant dans lequel il existera. Et comme ces instants sont en nombre infini,
il s'ensuit que dans un enfant qui naîtra demain, il y aura autant de choses de cette sorte, qu'il y a de temps futurs
dans lesquels il existera, qu'il y a d'instants futurs dans lesquels il existera. Et ainsi dans cet enfant, il y aura
une infinité de choses. De la même manière, dans un homme qui aura existé dans une infinité de temps et dans une
infinité d'instants, seront déposées de telles choses en nombre infini.</p>
<p>Et si vous disiez que ces instants néont pas existé en acte <span class="note">[Pour <span
class="people">Aristote</span>, l'être en <i>acte</i> est l'être réalisé, par opposition à l'être en <i
>puissance</i>. Par exemple, la graine est en <i>puissance</i>, la plante est en<i
> acte</i>]</span>, je répondrais : ou il y eut un jour un instant en acte, ou il n'y en eut aucun. Si c'est aucun, il
n'y a donc rien qui soit un instant. S'il y en eut un, et pas plus l'un que les autres, il y en a donc eu une infinité
en acte.</p>
<h3>Preuve n° 2</h3>
<p>2ᵉment, parce qu'au sujet de toute chose, il appartient de dire de manière déterminée qu'elle existe ou qu'elle
n'existe pas. Soit donc cette chose qui doit avoir été déposée par l'adjacence de la veille. Alors dans cet homme ou
bien existe de manière déterminée une telle chose qu'on appelle le "quand" du futur, ou bien elle n'existe pas dans
cet homme. Si elle est en lui, alors cette proposition est vraie de manière déterminée : <q>cet homme existera
demain</q>. Si elle n'est pas en lui, la proposition opposée sera donc vraie de manière déterminée, à savoir que cet
homme n'existera pas demain. Ce qui est contraire à <span class="people">Aristote</span> <span class="note">[Cf. <span
class="people">Aristote</span>, <i>De l'interprétation</i>, ch. 9, sur les<i> futurs contingents</i>. Ce qui aura lieu dans le futur, aura-t-il eu lieu par une nécessité de toute éternité? Non, en ce qui concerne les actions humaines. "L'expérience nous montre, en effet, que les choses futures ont leur principe dans la délibération et dans l'action, et que d'une manière générale, les choses qui n'existent pas toujours en acte renferment la puissance d'être ou de n'être pas, indiffèremment" (19a, Trad. J. Tricot). La querelle des <i
>futurs contingents</i> est une polémique centrale de la pensée du moyen-âge. Au contraire d'<span class="people">Aristote</span>, pour des philosophes antérieurs à Ockham comme Thomas d'Aquin, ou postérieurs comme Leibniz, tout ce qui est dans le temps existe éternellement en Dieu, d'où celui-ci connaît infailliblement les contingents]</span>
qui nie une vérité déterminée dans les futurs contingents.</p>
<h3>Preuve n° 3</h3>
<p>3ᵉment, parce que je demande : ou il existe en cet homme un tel rapport par rapport au lendemain, ou il n'existe
pas en lui. S'il existe en lui un tel rapport, alors j'argumente : il s'ensuit formellement <q>il y a dans cet homme
un tel rapport par rapport à demain, donc cet homme existera demain</q>, de la même manière qu'il s'ensuit
formellement <q>il y a de la blancheur dans cet homme, donc cet homme est blanc</q>.</p>
<p>Et j'argumente plus avant: toute proposition vraie au présent, qui ne dépend pas d'un quelconque futur, comporte
quelque proposition nécessaire au passé. Par exemple si cette proposition est vraie maintenant : <q><span
class="people">Socrate</span> est assis au moment <i>a</i></q>, après <i>a</i>, celle-ci sera toujours nécessaire
: <q>Socrate était assis au moment <i>a</i></q>. Donc si cette proposition est vraie maintenant : <q>cette chose qui
est le "quand" par rapport à demain est dans Socrate, à cause de quoi Socrate est devant exister de manière
déterminée demain</q>, après cet instant cette proposition sera toujours nécessaire : <q>cette chose qu'est le
"quand" a été dans Socrate</q>. Et ainsi, après cet instant, cette proposition sera toujours nécessaire : <q>Socrate
a été devant exister demain</q>. Et par conséquent, Dieu ne peut pas faire que Socrate n'existe pas demain, parce
que de cela seul Dieu est empèché, de faire que ce qui a eu lieu ne se soit pas produit <span class="note">["Car il y a une seule chose dont Dieu est privé, C'est de faire que ce qui a été fait ne l'ait pas été", citation d'Agathon, tragédien athénien du 5<sup>ème</sup> siècle, cité par Aristote dans l'<i
>Ethique à Nicomaque</i> (VI, C. 2, 1139b, trad. J. Tricot)]</span>.</p>
<p>Mais si cette chose qu'est le <q>quand</q> par rapport à demain n'est pas dans <span class="people">Socrate</span>,
de sorte que cette proposition soit vraie de manière déterminée au présent, comme sa vérité ne dépend pas d'un
quelconque futur, cette proposition sera toujours nécessaire : <q>cette chose n'a pas été dans Socrate</q>, et il
s'ensuit formellement : <q>cette chose n'a pas été dans Socrate, donc Socrate n'a pas été devant exister le
lendemain</q>, de la même manière qu'il s'ensuit : <q>la blancheur n'a pas été dans Socrate, donc Socrate n'a pas
été blanc</q>. Et l'antécédent est nécessaire, par l'hypothèse posée, donc la conséquence est nécessaire. Et par
conséquent Dieu ne peut pas continuer la vie de Socrate jusqu'au lendemain. Et ainsi tout ce qui arrive, arrive de
nécessité, et rien n'arrive par hasard ou par fortune <span class="note">[La distinction entre ce qui arrive par <i>hasard</i> et ce qui arrive par <i
>fortrune</i> est longuement traitée par Aristote dans sa <i>Physique</i>, livre II,<span
> </span>4 à 6. <q>On voit donc que la fortune est une cause par accident, survenant dans les choses qui, étant en vue de quelque fin, relèvent en outre du choix</q> (197a, trad. H. Carteron). <q>Ainsi le hasard, pour s'en rapporter à son nom même, existe quand la cause se produit par elle-même en vain</q> (197b)]</span>.
</p>
<p>Ce qui se confirme: de même qu'une proposition vraie de manière déterminée dans le présent comporte quelque
proposition nécessaire au passé, une proposition fausse au présent qui ne dépend pas du futur comporte quelque chose
d'impossible au passé. De même que si cette proposition est maintenant fausse : <q>Socrate existe au moment
<i>a</i></q>, celle-ci sera toujours impossible par la suite : <q>Socrate n'a pas existé au moment <i>a</i></q>.
Donc si cette proposition est maintenant fausse de manière déterminée : <q>cette chose qui est le "quand" par rapport
à demain est dans Socrate</q>, celle-ci sera toujours impossible par la suite : <q>cette chose a été dans
Socrate</q>, et par conséquent celle-ci sera toujours impossible : <q>Socrate a été devant exister plus tard</q>. Et
alors je demande : ou Socrate peut exister demain, ou non. Si oui, Socrate peut donc exister demain sans un tel
rapport. De la même manière alors, cette proposition : <q>Socrate a été devant exister demain</q> n'est pas
impossible, mais nécessaire, puisque mise au présent, elle est vraie de manière déterminée. Et ainsi nécessairement
Socrate existera demain. Ou bien Socrate ne peut pas exister demain, et alors il est impossible qu'il existe demain.
Et alors de cette façon, rien ne serait futur contingent, mais tout arriverait par nécessité.</p>
<p>Ce qui se confirme, parce que si "quand" était une telle chose, alors de la même manière qu'il est impossible que
quelque chose soit chaud sans chaleur, il est impossible qu'une chose temporelle soit à exister dans le futur sans une
telle chose. La conséquence est fausse, puisque cette proposition est vraie: "L'Antéchrist <span
class="note">[Terme apparaissant pour le christianisme dans la première <i>Epître</i> de Jean, aux alentours donc de la fin du 1er siècle, mais dont l'idée, celle d'un anti-messie, semble avoir existé antérieurement dans le judaïsme. Figure très chargée symboliquement et de manière émotive, l'Antéchrist a été l'objet de préoccupation de nombreux penseurs, notamment Augustin (5<sup>ème</sup> siècle), Grégoire le grand (6<sup>ème</sup> siècle), et est resté un article de foi catholique jusqu'à la fin du 19<sup>ème</sup> siècle]</span>
existera avant le jour du jugement", et cependant dans l'Antéchrist, comme il n'y a rien, il n'y a pas une telle
chose.</p>
<p>Si vous dites que du temps futur ne se dépose pas une telle chose, avant que la chose temporelle ne soit dans ce
temps. Et qu'ainsi ni l'Antéchrist ni Socrate existant maintenant ne possèdent une telle chose provenant du temps
futur:</p>
<p>Je rétorque: si cette chose peut vraiment exister demain et dans tout temps futur sans une telle chose, pour la même
raison cette chose a existé sans une telle chose au temps passé, et existe maintenant; c'est donc inutilement qu'on
pose une telle petite chose.</p>
<h3>Preuve n° 4</h3>
<p>4èmement, parce que cela ne comporte aucune contradiction que Dieu conserve Socrate, qui existait hier, sans un tel
rapport par lequel on dit qu'il a existé hier, parce qu'il peut par sa puissance absolue conserver Socrate et détruire
cette chose. On pose donc qu'elle y est. Et alors je demande: ou cet homme a existé hier, ou non. Si oui, Socrate a
donc existé hier sans un tel rapport, et par conséquent par cette chose on ne dit pas que Socrate a existé hier, ce
qui est la proposition. Si Socrate n'a pas existé hier, au contraire: par hypothèse, cette proposition a été vraie
hier: "Socrate existe aujourd'hui", donc par la suite celle-ci est toujours nécessaire au passé : "Socrate a existé
hier", de sorte que Dieu ne peut pas faire que Socrate n'ait pas existé hier, d'où il a existé.</p>
<p>C'est pourquoi je dis que "quand" n'est pas un rapport tel que les hommes le posent communément <span
class="note">[Cf. Chatton,<i> Reportatio</i>, I, d. 30, q. 3; référence précisée par l'édition de St Bonaventure].</span>
</p>
<h3>2nd article</h3>
<p>Au sujet du 2nd point, je dis que le prédicament <q>quand</q> est composé des adverbes, ou autres termes équivalents
à des adverbes, par lesquels on répond convenablement à la question faite par cet interrogatif <q>quand</q>. Et c'est
pourquoi <span class="people">Aristote</span> <span class="note">[Cf. <span class="people">Aristote</span>, <i>Catégories</i>, ch. 4. (...) <q>temps: <i>hier, l'an dernier</i></q> (...)]</span>
dénomme toujours ce prédicament par cet interrogatif <q>quand</q>, et pas autrement, parce que nous n'avons pas de
noms spéciaux pour tous ceux par lesquels on répond à une telle question. Et c'est pourquoi ce prédicament n'emporte
pas une quelconque chose distincte de la substance et de la qualité, mais emporte la substance et la qualité de
manière adverbiale et non par des noms.</p>
<p>Mais un doute est comment peut-on sauver le passage de contradictoire en contradictoire, par exemple que maintenant
cette proposition est vraie : <q>Socrate a existé hier</q>, et qu'hier elle n'était pas vraie.</p>
<p>Je réponds qu'il est sauvé par l'écoulement temporel, parce que de cela que le temps qui coexistait avec lui
s'écoule, on dit que maintenant Socrate a existé hier, mais auparavant non.</p>
<p>Sur l'argument principal, je dis que le <q>quand</q> n'emporte pas un rapport tel que les hommes l'imaginent, mais
emporte le fait de coexister, ou d'avoir coexisté, ou qu'on coexiste avec tel moment. Et d'une telle coexistence de la
chose avec le temps, il n'en reste pas plus une quelconque chose dans la chose temporelle qu'il ne reste quelque chose
dans un ange de ce qu'il coexistait avec moi, ou de ce que j'ai été à la maison ou à l'église.</p>
<p>Et quand on dit que celui qui est plus ancien a quelque chose que l'autre n'a pas, je réponds : <q>avoir</q> est pris
en un double sens : d'une 1ʳᵉ manière, comme sujet qui a un accident. Et alors l'assertion est fausse. D'une autre,
parce qu'il a coexisté avec un temps plus grand. Et alors il n'a pas quelque chose que l'autre n'a pas, parce que
avoir de plus nombreuses années n'est pas avoir quelque chose en soi formellement, mais seulement avoir coexisté de
plus nombreuses années.</p>
<p>Si donc je dis que le prédicament "quand" est composé d'adverbes tels <q>aujourd'hui</q>, <q>hier</q>, <q>demain</q>,
<q>la veille</q>, et de même de tous les adverbes par lesquels on répond convenablement à cette interrogation "quand".
</p>
<h2>Question n° 6 - Si "ou" <span class="note">[La notion d'"<i>ubi</i>", selon L. Baudry (<i
>Lexique</i>..., article ubi), citant lui-même Duhem , <i>Le temps et le mouvement</i> <i>chez les scolastiques</i>, in <span
style="font-family: Symbol;">�</span>Revue de philosophie<span style="font-family: Symbol;">�</span>, 1914, p. 140-145, provient de Gilbert de la Por�e, <i
>Liber sex</i> <i>principiorum</i>. L'argumentation est ici manifestement dirigée contre Duns Scot, qui pense que dans le mouvement local, quelque chose est effectivement acquis ou perdu par le corps qui se meut, et donc que l'"<i
>ubi</i><span style="font-family: Courier New;">"</span> est la propriété d'un corps qui se trouve dans un autre, qui est le lieu]</span>
emporte une chose distincte des choses absolues
</h2>
<p>Qu'il en est ainsi: parce que par le mouvement local, quelque chose est vraiment acquis; mais aucune chose absolue
n'est acquise par le mouvement local; donc il s'agit d'un rapport.</p>
<p>A l'opposé: Tout peut être sauvé par les choses absolues; donc etc.</p>
<h3>Sur la question. Conclusion n° 1</h3>
<p>Sur cette question, je dis brièvement que non. Ce que je prouve d'abord, parce qu'il n'est pas besoin de poser un tel
rapport, si ce n'est à cause du mouvement local, parce qu'il faut évidemment que par tout mouvement local quelque
chose soit acquis ou perdu ; mais il ne faut pas le poser à cause de cela, puisque la sphère ultime est mue
localement, et cependant n'acquiert aucun nouvel "où", puisqu'il n'existe aucun corps circonscrivant la sphère ultime
<span class="note">[La notion de sphère ultime est liée à la conception <span class="people" title="Aristote">aristot
élicienne</span> et médiévale d'un monde fini et sphérique. Le ciel est sphérique : <q>Le ciel a nécessairement une forme sphérique, qui est, en effet, la forme la plus appropriée à sa substance</q> (<span
class="people">Aristote</span>, <i>Du ciel</i>, II, 4, 286b). <q>Nous appelons ciel la substance de la circonférence la plus extérieure à l'univers</q> (ibidem, I, 9, 278b). Il ne peut rien y avoir au-delà : <q>On voit donc, par ce que nous avons dit, que non seulement il n'y a aucun corps en dehors de la circonférence, mais encore qu'il ne peut s'y produire aucun, de quelque masse qu'il soit</q> (ibidem). <q>En même temps, il est clair qu'il n'existe non plus ni lieu, ni vide, ni temps en dehors du ciel</q> (ibidem, I, 9, 279a). Il est en mouvement : <q>Il est donc naturel qu'il se meuve d'un mouvement nécessaire</q> (ibidem)]</span>
qui puisse être le terme de ce rapport; donc etc.</p>
<p>Et si vous dites que la sphère ultime a un rapport opposé au centre<sup>36</sup>, parce que la terre repose au
centre, et qu'autour de ce centre se meut la sphère ultime:</p>
<p>Je rétorque: de là, on a la proposition que le mouvement local peut exister sans l'acquisition d'un tel "où", parce
qu'il est manifeste que le ciel n'est pas sur terre comme dans un lieu <span class="note">[Cette conception implique le géocentrisme : "Il est donc manifeste que la terre est nécessairement au centre et immobile" (ibidem, II, 14, 296b), avec une connotation de perfection : "la ligne qui enveloppe le cercle sera parfaite" (ibidem, II, 4, 286b)]</span>.
Donc il n'y a pas ici un tel "où".</p>
<p>En outre, si le ciel était tendu de manière continue, et était absolument un seul corps, comme Dieu pourrait le
faire, à ce moment là, Dieu pourrait mouvoir ce corps circulairement, et cependant rien ne serait alors en repos; donc
etc.</p>
<p>En outre, si Dieu faisait un corps sans aucun lieu, il pourrait toujours mouvoir ce corps, et cependant rien ne
reposerait alors, et aucun "où" ne serait acquis.</p>
<p>En outre, s'il en était ainsi, alors non seulement la totalité du ciel, mais l'une quelconque de ses parties aurait
un tel "où", et par conséquent, il y aurait autant de semblables "où" dans le ciel, que de parties du ciel, ou alors
il y aura un seul rapport total étendu à l'étendue du ciel.</p>
<p>En outre, ne comporte pas de contradiction le fait que Dieu détruise ce rapport, sans détruire le lieu, ni le corps
placé, sans transférer le lieu, ni la chose placée de lieu en lieu. De ce fait, je demande: ou ce corps est dans ce
lieu, ou non. Si oui, et qu'il n'a pas un tel rapport, donc il est placé dans le lieu sans un tel rapport, et par
conséquent on l'a posé inutilement. S'il n'est pas dans le même lieu où il a été auparavant, et que rien n'est
détruit, quelque chose a donc été mu localement, ce qui est contre l'hypothèse.</p>
<h3>Conclusion n° 2</h3>
<p>2ᵉment, je dis que le prédicament "où" est composé des adverbes de lieu, par lesquels on répond convenablement à la
question faite par cet adverbe "où", comme <q>ici</q>, <q>là</q>, <q>là-bas</q>, <q>à l'intérieur</q>, <q>à
l'extérieur</q>, et autres adverbes de lieu <span class="note">[<q>Le lieu, c'est par exemple, <i
>au Lycée</i></q> (...) (<span class="people">Aristote</span>,<i> Catégories</i>, ch. 9)].</span>
</p>
<p>Sur l'argument principal, je dis que quelque chose peut être quelque part, où il n'était pas d'abord, par le seul
mouvement local, sans acquisition ou perte de quelque rapport que ce soit, parce que de cela même que quelque chose
est mu localement et devient présent en un lieu quelconque, de sorte qu'il n'y ait rien d'interposé entre lui et le
lieu, on dit qu'il est quelque part où il n'était pas auparavant.</p>
<p>Si vous dites que dans tout mouvement quelque chose est acquis par le mobile <span class="note">[Ce qui est notamment la position de Duns Scot, cf. note 1, p. 20]</span>,
ou perdu par lui, je réponds : je nie cela. Ou plutôt, il suffit que soit acquis ou perdu un lieu, qui n'est pas
objectivement dans la chose placée. Et ceci est propre au mouvement local.</p>
<p>Et si vous dites que le lieu n'est pas acquis par quelque chose si ce n'est qu'il se forme lui-même, je réponds: je
nie cela, parce que le fait qu'un lieu soit acquis par quelque chose n'est pas autre chose que le fait qu'il arrive
par le mouvement local qu'il n'y ait rien d'intermédiaire entre le corps placé et le lieu. Parfois même, il peut y
avoir un mouvement local sans acquisition de quoique ce soit donnant forme ou non, mais il suffit que s'il y avait
quelque lieu autour, ce lieu soit alors gagné. Un exemple en est de la sphère ultime, parce que de ce qu'elle est mue
localement, rien n'est acquis <span class="note">[<q>Nous avons démontré, en effet, que le corps qui se meut circulairement ne peut pas changer son lieu</q> (<span
class="people">Aristote</span>,<i> Du ciel</i>, I, 9, 278b, trad. M. et S. Dayan). <q>Le corps doué du mouvement circulaire a le même lieu à la fois pour point de départ et pour point d'arrivée</q> (I, 9, 279a)]</span>.
Cependant, s'il y avait un lieu quelconque au repos entourant cette sphère, alors elle gagnerait ce lieu. Mais de
fait, elle n'acquiert aucun lieu de nouveau, et cependant on dit qu'elle est mue localement.</p>
<h2 style="margin-bottom: 0">Question n° 7 - Si la position <span class="note">[Contrairement à Duns Scot, qui tentait de distinguer 2 sens du terme, Ockham n'en voit que 1 : que les parties de la chose, ici du corps, soient disposées et rapprochées de telle ou telle manière (l. 438)]</span>
ou l'habitus <span class="note">[L'<i>habitus</i> vient de<i> habere</i>, avoir, et possède des sens multiples. C'est généralement, dans l'usage scolastique, l'un des accidents pouvant affecter la substance, et consistant dans le fait de possèder une chose ne faisant pas partie de soi (l. 418). Ici, il s'agit plus précisément d'avoir quelque chose sur soi, une chaussure, une capuche]</span>
emportent des rapports distincts des choses absolues
</h2>
<p>Qu'il en est ainsi, parce que les positions assise et debout sont vraiment dans la chose, et n'existent pas
elles-mêmes réellement; elles en sont donc distinctes. Elles ne sont pas des choses absolues, parce qu'alors à chaque
fois qu'un homme se tiendrait debout, puis s'assiérait, il gagnerait vraiment une chose absolue et en perdrait une
autre, ce qui est faux; donc ce sont des rapports distincts.</p>
<p>En outre, il en est de même en ce qui concerne l'habitus, puisqu'on dit que quelqu'un a maintenant un habitus qu'il
n'avait pas auparavant; il a donc acquis quelque chose en lui-même, et rien d'autre qu'un rapport; donc etc.</p>
<p>A l'opposé : on ne doit pas poser de pluralité sans nécessité.</p>
<h3 style="margin-top: 0; margin-bottom: 0;">Sur la question : 1ʳᵉ conclusion</h3>
<p style="margin-top: 0; margin-bottom: 0;"></p>
<p style="margin-top: 0; margin-bottom: 0;">Je réponds d'abord que la position ne désigne pas une chose autre que les
choses absolues. La raison en est que quand des prédicables peuvent être successivement vérifiés de quelque chose par
le moyen du seul mouvement local, sans pouvoir en être vérifiés simultanément, ces prédicables n'ont pas à impliquer
des choses distinctes des choses absolues. Mais par le seul mouvement local, sans l'intermédiaire d'aucun rapport, on
peut passer d'une position non assise à une position assise, parce que les parties sont mutuellement disposées
autrement entre elles, sans rien d'autre, quand on est assis et quand on est debout, et une partie est plus distante
d'une autre à un moment qu'à un autre, du fait qu'il y a entre elles un corps plus grand à un moment qu'à un autre.
Donc etc.</p>
<p>Et c'est pourquoi je dis que la position, qui est un prédicament, ne signifie pas une chose distincte des choses
absolues, mais signifie que les parties de la chose absolue sont disposées et rapprochées de telle ou telle manière,
car de cela même que quelqu'un est redressé, et qu'ainsi ses jambes ne sont pas pliées, ni les parties de ses jambes
rapprochées, on dit, homme ou animal, qu'il est debout; alors que quand les parties sont recourbées, on dit qu'il est
assis.</p>
<h3>2ᵉ conclusion</h3>
<p>2ᵉment, je dis que dans ce prédicament qu'est la position, il y a <q>être assis</q>, <q>être couché</q>, <q>être
penché</q> et autres similaires, qui ne peuvent pas s'accorder ensemble si ce n'est dans une grandeur telle que les
parties en puissent être rapprochées de diverses manières, les prédicables contraires pouvant, grâce à la dite
diversité, y avoir lieu successivement sans incompossibilité.</p>
<h3>3ᵉ conclusion</h3>
<p>3ᵉment, je dis que l'habitus, qui est un prédicament, ne désigne pas une quelconque chose distincte des choses
absolues. Ce que je prouve par l'exemple d'une chaussure. Il est possible que Dieu détruise ce rapport qu'on appelle
habitus, sans détruire la chaussure ni la jambe, et sans les déplacer localement. Ceci étant posé, je demande si notre
homme est chaussé ou non. Si c'est oui, on obtient la proposition ci-dessus. Si c'est non, et que rien d'absolu n'est
détruit, alors quelque chose est déplacé localement, parce qu'il est impossible que quelqu'un soit d'abord chaussé et
ensuite déchaussé, si ce n'est par la destruction de quelque chose d'absolu ou par le mouvement local de quelque chose
d'absolu. C'est pourquoi j'affirme qu'on dit que quelqu'un est chaussé, et identiquement pour les autres habitus, de
cela seul que telle chose, par exemple une chaussure ou un capuchon, lui est maintenant appliqué et ne l'était pas
auparavant.</p>
<p>D'où l'habitus, qui est un prédicament, implique qu'une chose soit autour d'une autre qui soit mobile de son propre
mouvement, si un obstacle ne l'en empèche pas. La dite chose n'est pas une partie de celle qui la possède , n'en est
pas solidaire, mais s'en distingue par le lieu et la position.</p>
<h3>4ème conclusion</h3>
<p>Je dis 4èmement que ce prédicament comporte des choses comme : <q>être armé</q>, <q>être chaussé</q>, et ainsi de
suite.</p>
<p>Au sujet du premier argument, je dis principalement que le fait d'être assis ou d'être debout peuvent être pris pour
des concepts, et alors ne sont pas dans la chose. Ou bien ils peuvent être pris pour des choses, et je concède alors
qu'ils sont dans la chose, parce qu'on ne désigne alors rien d'autre que les parties de l'animal, et que les parties
corporelles ainsi ordonnées sont dans la chose. Et celles-ci ne sont pas la chose même, mais des parties distinctes
absolues diversement ordonnées.</p>
<p>Je dis ailleurs que ce passage de contradictoire en contradictoire peut être suffisamment sauvé par le mouvement
local, sans aucun rapport.</p>
<h2 style="margin-bottom: 0">Question n°8 - Si l'unité de l'univers, ou la proximité des causes, ou la distance entre
les choses emportent des rapports distincts des choses absolues
</h2>
<p>Qu'il en est ainsi, parce que l'unité de l'univers est dans l'ordre de ses parties dans leurs relations mutuelles et
envers l'être premier, comme l'unité d'une armée est dans l'ordre des parties entre elles et sous leur chef. Mais
cette unité n'est cependant pas une chose absolue, car les choses absolues peuvent exister sans constituer un univers
comme elles le font maintenant. De là, contre ceux qui nient que l'unité de l'univers soit une relation, on peut citer
les paroles du Philosophe, <i>Métaphysique</i>, 12 <span class="note">["Quant aux philosophes qui prétendent que le nombre mathématique est la 1ʳᵉ entité, et qui admettent ainsi une succession indéfinie de substances, et des principes diffèrents pour chaque substance, ils font de la substance de l'univers une série d'épisodes sans lien entre eux (car, dans ce système, une substance n'exerce aucune influence sur une autre, par son existence ou sa non-existence), et ils nous gratifient d'une multitude de principes. Mais les êtres ne veulent pas être mal gouvernés : <i
>Le commandement de plusieurs n'est pas bon : qu'il</i> <i>n'y ait qu'un seul chef.</i>" (<span class="people">Aristote</span>, <i>Métaphysique</i>, livre <span
style="font-family: Symbol;">L</span>, 1075b-1076a, trad. J. Tricot). La citation faite par Aristote provient de l<i
>'Iliade</i>. Un des philosophes visés est Speusippe (<span style="font-family: Courier New;">~</span>393,<span
style="font-family: Courier New;">~</span>339), neveu de Platon et son premier successeur à la tête de l'Académie, auquel Aristote reproche, en divers endroits, sa conception d'un univers "épisodique"]</span>,
à savoir que ceux qui le prétendent rendent la matière de l'univers sans lien. Donc etc.</p>
<p>Le 2ᵉ point est établi, parce que les causes secondes ne peuvent être causes que par proximité. Cette proximité
n'est ni un être de raison, ni un être absolu <span class="source">[Cf. sur la distinction, note 3 page 13]</span>,
parce que les choses absolues peuvent être sans être approchées. Donc etc.</p>
<p>Le 3ᵉ point est établi, parce que la distance entre l'agent et le patient ne désigne absolument ni l'agent ni le
patient, puisqu'alors l'agent est toujours distant du patient, donc cela emporte un rapport distinct 2.</p>
<p>A l'opposé : tout peut être conservé par les choses absolues seules, donc un rapport est superflu.</p>
<h3>Sur la question</h3>
<p>Je réponds brièvement que non. La raison en est que, quand une proposition est vérifiée en vertu de certaines choses,
si de moins nombreuses suffisent, de plus nombreuses sont inutiles; mais il en est ainsi dans toutes ces propositions
: <q>les parties sont ordonnées en un univers</q>, <q>les causes sont rapprochées</q>, <q>les choses occupent des
lieux distants</q> ; donc etc.</p>
<p>En outre, si la proximité ou la distance était quelque chose d'autre, il s'ensuivrait que toutes les fois qu'un corps
quelconque serait déplacé vers le bas, il y aurait dans n'importe quelle chose corporelle et spirituelle une
quelconque chose réelle qui n'existait pas auparavant. De la même manière, il s'ensuit que dans n'importe quel ange,
il y a une infinité de choses, puisque dans n'importe quelle chose continue <span
class="note">[<q>Le continu est ce dont rien ne sépare les parties et dont les parties forment un tout per se.</q> L. Baudry, <i
>Lexique</i>..., article continuum, traduisant Ockham,<i> Expositio</i>... : <q>Continua sunt illa quorum unum ad aliud extenditur et converso et faciunt per se unum</q>]</span>,
il y a une infinité de parties dont l'ange est respectivement distant, donc il y a dans un ange une infinité de
distances.</p>
<p>Et si vous dites qu'un ange n'a pas une telle relation, si ce n'est avec le tout, et qu'il n'a pas de relation
distincte à une quelconque partie distincte:</p>
<p>Je rétorque que l'ange est plus distant d'une partie que d'une autre, donc autre est la distance de l'ange à une
partie du continu, et autre à une autre, et par conséquent autre est le rapport..</p>
<p>En outre, soient deux corps, n'importe quel changement étant effectué autour d'eux, pourvu qu'ils ne soient altérés
ni changés, ni selon le lieu, ni selon leur totalité, ni selon une quelconque de leurs parties, ils resteront proches
ou distants de la même manière, et par conséquent, bien que de telles relations aient été détruites, les 2 corps
conserveront entre eux la même distance. Et une fois détruite cette relation qu'on appelle ordre de l'univers,
l'univers sera alors encore ordonné comme maintenant, si les parties absolues de l'univers restent non détruites, ni
chang2es selon le lieu.</p>
<p>En outre, il s'ensuit d'une autre manière que par le mouvement de mon doigt, je remplirai de nouveau tout l'univers
par de nouveaux accidents, par exemple le ciel, la terre, la nature corporelle et spirituelle, puisque quand je remue
le doigt, mon doigt a une autre position par rapport au ciel et par rapport à n'importe laquelle de ses parties, ou
plutôt une autre position qu'auparavant par rapport à n'importe quelle partie du ciel; et par conséquent il y a autant
de nouveaux rapports dans le ciel qu'il y a de parties du ciel, et celles-ci sont en nombre infini <span
class="note">["Les parties du continu sont en nombre infini", développé par Ockham dans<i> Questiones</i>... (q. 69)]</span>
; donc etc.</p>
<p>Sur le premier point, je dis principalement que l'ordre et l'unité de l'univers ne sont pas un certain rapport, comme
une sorte de lien qui lierait mutuellement les corps ordonnés en un univers, comme si ces corps n'étaient pas ordonnés
et que l'univers n'existait pas vraiment sans un telle relation, comme l'imagine Simplicius <span class="note">[Simplicius (5<sup>ème</sup>-6<sup>ème</sup> siècles), philosophe grec néo-platonocien, commentateur d'Epictète et d'Aristote, a exercé une grande influence sur le moyen-âge. L'édition St Bonaventure précise la référence : Simplicius,<i
> In</i> <i>Categorias Aristot</i>., ch. 7]</span> au sujet des <i>Prédicaments</i>. Mais cet ordre emporte seulement
les choses absolues elles-mêmes, qui ne constituent pas une seule chose en nombre, parmi lesquelles l'une est plus
distante d'une même chose et l'autre moins, et l'une proche d'une autre, et une autre plus ou moins distante, sans
aucun rapport inhérent, en sorte qu'elle soit entre certaines, et non entre d'autres. Et ainsi la connexion de
l'univers est mieux préservée sans un tel rapport qu'avec.</p>
<p>Sur le 2ᵉ point, je dis que la proximité des causes non seulement exprime une chose absolue, mais emporte qu'il n'y
ait aucun obstacle entre elles. Et c'est pourquoi quand il n'y a aucun obstacle entre elles et qu'elles existent,
alors l'une pourra agir sur l'autre. Mais quand il y a quelque obstacle entre elles, alors il ne se peut pas que l'une
agisse sur l'autre. Ceci est évident, si je prends le soleil et quelque chose de non éclairé, par exemple l'air à
l'intérieur de la maison. Si un corps opaque quelconque est interposé, il est certain qu'il ne se passera rien. Mais
une fois cet obstacle été, par exemple en ouvrant la fenêtre, sans aucune chose alors nouvellement acquise par le
soleil ou par l'air, le soleil peut éclairer l'air. Et par conséquent, il est possible qu'il y ait des choses qui
existent sans que d'abord l'une agisse sur l'autre, et qu'ensuite il se fasse que l'une agisse sur l'autre à cause du
seul changement de lieu de l'un ou l'autre corps, ou parfois plutôt par la seule modification de l'un des deux corps,
par exemple s'il y a changement de l'opacité d'un nuage, l'air peut être éclairé sans qu'il n'y ait aucun nouveau
rapport.</p>
<p>C'est pourquoi je dis qu'on dit alors que la cause est rapprochée, quand l'agent existe, que le patient existe, et
qu'il n'y a aucun obstacle interposé entre eux. Mais quand il n'y a pas proximité, alors un obstacle quelconque est
interposé entre eux. Et ce quelque chose peut parfois être déplacé par un mouvement local de l'agent ou du patient,
par exemple quand une grande quantité d'air entre deux corps quelconques empèche leur action, parfois, comme dit
ci-dessus, par le changement local de l'un des deux, parfois par la modification de l'un des deux, parfois par le
concours de quelque cause partielle requise par l'agent. En effet, si l'on approche l'eau du feu, Dieu peut d'abord
suspendre son action, et ensuite agir avec le feu sans aucun changement local ni relation nouvelle acquise ou
perdue.</p>
<p style="margin-bottom: 0">Sur le 3<sup>ème</sup> point, je dis que ni la distance de l'agent au patient ni sa présence
n'emporte absolument qu'elles soient des choses absolues. Mais cela emporte qu'elles soient des choses absolues, et la
puissance emporte qu'il n'y ait aucun corps intermédiaire entre eux, ou qu'il ne puisse y avoir pour le moment de
mouvement local de l'un par rapport à l'autre. Mais maintenant, de cette proposition négative : <q> il n'y a aucun
corps intermédiaire</q>, je ne peux pas déduire cette affirmative : <q>donc il y a une certaine chose positive en
plus des choses absolues</q>, de la même manière qu'il ne s'ensuit pas que <q>rien n'existe entre ces
contradictoires, donc il y a quelque chose entre eux</q> <span class="note">[A savoir ce rien]</span>. Mais la
distance implique qu'il y ait quelque chose d'intermédiaire entre ces choses absolues. Et l'on dit que la distance est
plus grande ou plus petite selon que le corps intermédiaire <span class="note">[Argumentation qui doit être éclairée par la conception aristotélicienne concernant le vide. <q>Le vide semble être, n'est-ce pas, le lieu où il n'y a rien</q> (<span
class="people">Aristote</span>, Physique, livre 4, 213b, trad. H. Carteron). "Mais il est absurde qu'un point soit vide; en effet il faut que le vide soit un lieu où il y ait extension d'un corps tangible" (214a). <q>Le vide est ce qui n'est pas rempli d'un corps sensible au toucher</q> (214a). La question n'est pas close : là où la physique "classique", newtonienne, pose l'existence d'un espace réel, mais vide, la réalité le remplit d'un champ gravitationnel, réalité physique réellement existante, puisque partout identifiable et mesurable] </span>est
plus grand ou plus petit.</p>
<span
class="note">37. "C'est pourquoi les réalités qui s'y trouvent [dans le ciel] ne sont pas naturellement dans un lieu
(...)" (Aristote, ibidem,I, 9, 279a).</span>
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